Narguess Mohamadi, voix infatigable pour la justice en Iran

Narguess Mohamadi, voix infatigable pour la justice en Iran

Article du blog de la journaliste Iranienne Keyhani Parisa que nous relayons ici:

« Femme de courage« , c’est ainsi que ceux qui ont connu Narguess Mohamadi la décrivent.  Journaliste et activiste, elle a été arrêtée le 22 avril 2012 à Téhéran pour purger sa peine de six ans de prison. Ses activités lui ont déjà valu plusieurs séjours à la prison Evine, notamment celle de vice-présidente de l’Association des défenseurs des droits de l’Homme, fondée par Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la Paix en 2003.

Sa récente arrestation est d’autant plus déplorable que son mari, Taghi Rahmani, prisonnier politique pendant 14 ans suite à la Révolution islamique de 1979, est aujourd’hui loin de sa famille. Convoqué à la prison d’Evine pour purger sa peine de 5 ans, il a décidé de quitter son pays en janvier 2012, laissant derrière lui sa femme et leurs jumeaux de 5 ans. Narguess, elle, est restée malgré la crainte d’être convoquée par les autorités pour purger sa peine.

Rahmani estime que les autorités cherchent à le mettre sous pression avec la détention de Narguess, atteinte d’une maladie nerveuse inconnue qui est apparue lors de son dernier séjour en prison.

Narguess Mohammadi et ses enfants, Ali et Kiana

Nous publions aujourd’hui la lettre d’une journaliste iranienne, ayant connu Narguess, sur les souffrances de ses proches en son absence:

« Imagine des jumeaux de 5 ans, assis dans un taxi, aux côtés d’une dame d’environ 80 ans. Elle leur tient les mains, comme si elle avait peur de les perdre dans le chaos enfumé et vrombissant des voitures ».

Ils viennent de quitter Narguess à la prison d’Evine. L’entrevue était si brève que les enfants n’ont pas eu le temps de s’y retrouver. Ils n’avaient pas vu leur mère depuis 22 jours.

Que se passe-t-il dans la tête de si jeunes enfants quand, en l’espace de trois mois, ils voient que leur père n’est plus là, qu’ensuite la mère s’absente pour réapparaitre, quelques semaines plus tard, derrière une vitre, sans qu’ils puissent la toucher, la sentir.

Le taxi descend les hauteurs de Téhéran, transportant la grand-mère et les petits enfants. La génération intermédiaire est absente. Le garçon se tourne vers la grand-mère et lui dit:  » Mamani, tu ne vas pas mourir, sinon, qui nous gardera? « , et la petite fille se serre encore plus contre la grand-mère.

J’ai connu Narguess Mohammadi surtout à travers les interviews qu’elle donnait à des radios persanophones internationales. Sa voix était solide, ses raisonnements claires comme la justice. Elle ne faisait pas de la politique, mais chaque fois qu’un droit était bafoué, elle le dénonçait avec une intarissable énergie. Pendant les périodes de forte répression, où peu de militants à l’intérieur de l’Iran s’exprimaient sur les ondes des médias étrangers, elle était là, prête à revendiquer le respect des droits des hommes et des femmes. Elle ne connaissait pas le silence. Les agents de renseignements avaient investi son appartement pendant la nuit à la recherche de son mari. Le lendemain, elle donnait aux médias le récit de tout ce qu’ils avaient saccagé, démoli, et emporté.

Ce que nous apprenions de sa bouche à travers les radios étrangères n’était rien par rapport à ce qu’elle écrivait dans ses lettres aux autorités judiciaires, à propos d’irrégularités de procédure ou de cas de violations des droits humains. De ce que j’ai entendu de familles de prisonniers politiques auxquelles elle avait rendu des services en leur trouvant des avocats bénévoles, elle donnait l’image d’une femme infatigable.

Il m’est arrivé de la rencontrer une ou deux fois. La première fois, c’était chez des amies, une réunion informelle entre militantes des droits des femmes. Nous avons sympathisé et parlé de choses et d’autres. Je lui ai demandé si elle avait des enfants. Elle m’a dit sur un ton simple, presque en s’excusant:  » Non, nous n’avons pas eu le temps, Taghi était souvent en prison« .

Taghi, son mari, avait à peine 20 ans au moment de la Révolution. Depuis, il a été plusieurs fois emprisonné et, en tout, il a passé 14 ans de sa vie en prison. S’il n’avait pas pris le chemin de l’exil, il serait sans doute en prison maintenant. Mais depuis, comme s’ils voulaient rattraper le temps perdu, ils ont eu des jumeaux. Aujourd’hui, les enfants ont 5 ans et sont gardés par la grand-mère.

Taghi Rahmani

J’ai entendu dire que leur grand-mère est une femme extraordinaire. A quatre-vingts ans, elle a toute l’énergie d’une mère courage. En Iran, on respecte profondément les mères qui cachent leur chagrin. Le sien risque de déborder devant l’exil de son fils, l’emprisonnement de sa belle-fille et l’avenir incertain de ses petits enfants.

Et dire que dans les cellules voisines de celle de Narguess Mohammadi, il y a des femmes, des mères et des grands-mères qui perpétuent la même image de révolte contre l’injustice, et que les proches les plus chanceux peuvent seulement les voir quelques minutes à travers une vitre. On ne mesure pas le temps de création qui leur a été dérobé.

Pour lire davantage sur Narguess Mohammadi, lisez le portrait que nous avons fait d’elle sur notre blog à l’occasion de la Journée mondiale de la Femme. 
Voir aussi sur:
http://keyhani.blog.lemonde.fr/2012/05/11/narguess-mohamadi-porte-voix-pour-la-justice-en-iran/

Soliranparis contact nomore@riseup.net

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